Lionne

Directrice de Noël

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La neige tombait à gros flocons, noyant le paysage sous un tapis faussement doucereux. Par la fenêtre, Sam fixait l’Impala avec une lueur d’envie dans le regard. Que n’aurait-il pas donné pour être sur la route avec Dean　?

- Que se passe-t-il ici　? demanda la directrice en fronçant les sourcils.

Elle s’était absentée une demi-heure et retrouvait une crèche pleine d’enfants qui pleurent. Les lèvres pincées, le regard sévère, elle attendait une explication. Elle jeta un rapide coup d’œil sur l’écran de télévision. L’Etrange Noël de Monsieur Jack… Ce film n’avait jamais fait pareil effet sur ses charmantes têtes blondes. Il y avait donc autre chose… et cette autre chose était sûrement à chercher du côté de ces deux hommes en costume.

- On n’y est pour rien　! se défendit l’aîné des Winchester, qui prenait l’intervention sèche et accusatrice comme une attaque personnelle. Y avait Lost à la télé　! Mais, allez savoir pourquoi, ils se sont tous mis à pleurer lorsqu’ils ont vu Jacob [alias Mark Pellegrino, Lucifer dans Supernatural]…

- Lost, coupa-t-elle en levant les yeux au ciel. Comme si c’était une série pour de jeunes enfants…

- Je t’avais bien dit de leur mettre La petite maison dans la prairie, souffla Sam à son frère.

- Je ne SUPPORTE PAS ta foutue petite maison　! ronchonna ce dernier en reportant son attention sur la directrice, à laquelle il essayait de tendre son sourire le plus courtois.

- Et d’abord, qui êtes-vous　?

- Agent Padalecki, se présenta Sam en tendant une main franche que la directrice accepta de serrer sans mauvaise grâce, et agent Ackles, ajouta-t-il en désignant Dean qui essayait vainement d’offrir un sourire rassurant à cette vieille chouette.

- Que faites-vous ici　? demanda-t-elle en toisant ostensiblement l’aîné des Winchester qui commençait à sentir la moutarde lui monter au nez.

- Une enquête de routine, madame, reprit Sam. Nous avons eu des plaintes dans le quartier, concernant des odeurs de souffre. Nous nous sommes inquiétés pour les enfants.

- De souffre　? s’étonna la vieille chouette de directrice. Quelle horreur　!!... Nous n’avons fort heureusement rien à déplorer par ici.

- Dans ce cas, nous allons vous laisser, conclut Sam en ne laissant pas à son aîné le temps de placer un mot. Nous vous remercions pour votre coopération et nous sommes désolés si nous avons perturbé les habitudes des enfants.

- Oh　! Les enfants oublieront vite… Déjà ils ne pleurent plus, ces chers petits anges…

Dean et Sam sortirent de la crèche et traversèrent le parc pour rejoindre l’Impala.

- Sam　! protesta Dean.

- Chut　!

- Mais…

- Dans la voiture　!

Une fois installés, Dean, assez mécontent du ton autoritaire adopté par son petit frère, se tourna vers celui-ci pour vider son sac.

- Cette vieille bique nous a menti. Elle puait le souffre à plein nez　!

- Tu exagères un peu mais…c’est vrai qu’elle n’est pas nette. On va la surveiller…

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Ils avaient passé toute la soirée dans l’Impala avant de constater, avec surprise, que la directrice ne sortait pas. Que pouvait-elle bien faire, seule dans une crèche vide　?

La patience n’étant pas sa plus grande qualité, Dean décida de passer à l’action. Suivi de son cadet, il s’approcha doucement de la grande bâtisse qui, privée des rires d’enfants et du bruissement heureux du personnel, paraissait soudain sinistre. Un frisson parcourut l’aîné, qui jeta un rapide coup d’œil à son petit frère pour vérifier qu’il ne l’avait pas perçu.

En réalité, Sam avait parfaitement perçu le frisson de son frère, mais il préféra n’en rien laisser paraître. Il était saisi du même sentiment oppressant. Pourtant, il ne pouvait considérer celle que Dean appelait désormais «　la vieille harpie　» comme un danger.

Ils glissèrent un œil inquisiteur entre les lames des volets. La grande salle de récréation était vaguement éclairée. Assez pour qu’ils voient la directrice chercher fébrilement. Elle soulevait des couvercles, farfouillait dans des boites, se relevait, mains sur les hanches, pour recommencer après avoir tourné sur elle-même.

Etait-ce là un nouveau rite　???

Soudain, le visage sévère s’éclaira. La directrice se frotta les mains, un sourire satisfait, les yeux brillants ( mais ni rouges ni noirs ), attrapa quelque chose et trottina jusqu’à la cuisine.

Ils l’avaient perdu de vue　!

Sans réfléchir, Dean se précipita. Il défonça la porte et courut jusqu’à la cuisine. Il empêcherait cette sorcière d’empoisonner tous ces enfants　!

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- Il était inutile de l’assommer, lui reprocha une nouvelle fois Sam.

- Mais je l’ai pas assommée　! protesta Dean, mal à l’aise. C’est pas de ma faute si elle était derrière la porte　!

- Que tu as ouvert à la volée, sans faire attention, après avoir défoncé celle de l’entrée…

- Ouais bon… Comment je pouvais savoir qu’elle était juste en train de préparer du lait de poule　?

- Si tu lui avais poliment demandé ce qu’elle faisait, peut-être te l’aurait-elle dit.

Dean haussa les épaules devant une argumentation aussi oiseuse.

- Arrêtez donc de vous disputer, grands nigauds　! marmonna la directrice que Sam avait assise sur une chaise. Pourquoi avez-vous…　? Oh　!

- Quoi　??! s’inquiéta aussitôt Dean.

- Mon lait de poule　!!! C’est vous qui avez tout bu　? demanda-t-elle, suspicieuse, en fixant l’aîné des Winchester.

- Oui mais…je croyais… Il était très bon… Je…

- Mon frère est désolé, il croyait que vous vouliez empoisonner les enfants.

La directrice parut sur le point de rendre l’âme, livide, une main crispée sur la poitrine. Sam la maintint en l’entourant d’un bras ferme, en jetant un regard anxieux à son frère. Que devait-il faire　?

- Moi　? Empoisonner ces petits, murmura-t-elle d’une voix mourante.

Soudain, elle se redressa et vint se planter devant Dean, qui recula et la regarda comme un enfant pris en faute. Les prunelles noisettes, qui savaient se faire riantes pour les enfants, paraissaient lancer des éclairs, et devant leur éclat le chasseur n’en menait pas large.

- Ce n’était pas une raison pour boire tout le lait de poule　!!.... Pourquoi avez-vous cru que je voulais empoisonner les enfants　?

- A cause du souffre, répondit piteusement Dean.

- Oh　je vois. Oui, évidemment, je n’aurais pas dû vous mentir… Vous êtes des chasseurs, c’est cela　?

Les deux frères échangèrent un regard, interloqués.

- J’en ai déjà croisés quelques-uns au cours de ma longue vie, expliqua-t-elle en souriant avec espièglerie.

Tout à coup, elle paraissait plus jeune. Elle éclata de rire devant leurs mines stupéfaites et la maison sembla reprendre vie.

- L’un des vôtres est même venu au secours de ma sœur.

- Votre sœur　? s’enquit Sam timidement, regrettant presque d’avoir posé la question et redoutant la réponse.

- La mère Noël　! répondit la directrice avec un clin d’œil, en tirant la langue.

- La mère…, répéta Dean mécaniquement.

Il jeta un coup d’œil derrière lui, semblant réfléchir alors qu’il était en pleine déroute. Quelques heures plus tôt, il y avait une crèche. Maintenant, ils étaient dans un asile. Il ne voyait pas d’autre explication.

- Allez plutôt me chercher une autre bouteille de rhum　! le houspilla la directrice qui avait tout à coup une petite robe verte avec des babouches à pompon. C’était ma dernière…

- Que faisait une bouteille de rhum dans la salle de jeu des enfants　? releva Sam, mettant le doigt sur ce qui lui apparaissait comme une incohérence.

- Rassurez-vous, ils ne pouvaient pas la voir, répondit-elle en riant. J’ai quelques petits sortilèges que je maîtrise parfaitement… Alors, qu’attendez-vous　vous　?! Jack Frost ne va pas être content s’il n’a pas son lait de poule　!

- Jack Frost　?!! s’étrangla le chasseur. L’horrible bonhomme de neige　?!!

- Mon pauvre petit Jack, il n’est pas si horrible que ça. Il est même charmant　!... Sauf si vous le privez de son lait de poule. Il risque de ne pas être content après vous. Allez, zou　!

Elle poussa littéralement Dean hors de la maison. Complètement déboussolé et maugréant dans la barbe qu’il n’avait pas, le chasseur se dirigea vers un petit magasin qui, dieu merci, était ouvert toute la nuit.

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- Et cette odeur de souffre　? insista Sam.

- Ces enfants ne sont pas comme les autres, expliqua la directrice avec un regard tendre vers la grande salle de récréation. S’ils sont bien orientés, ils ont tout pour devenir de futurs anges…

Sa voix était un murmure et pourtant, Sam l’entendait clairement. A aucun moment il n’eut envie de mettre en doute les affirmations de la femme en vert. Quelque part au fond de lui, il savait que c’était la vérité. Il soupira malgré lui. Comment le faire admettre à Dean　?

- Je ne dois pas seulement les mettre sur la bonne voie. Je dois surtout les protéger.

- Des démons　?

- Rarement, mais cela arrive. Il y en a eu deux cette semaine, alors que je n’en avais pas vus depuis des dizaines d’années… Qu’est-ce qui vous fait sourire　?

- Je suis désolé…

- Il n’y a pas de mal, répliqua-t-elle jovialement. Vous paraissez beaucoup plus jeune lorsque vous souriez. Comme quelqu’un qui n’a pas connu d’autres soucis que de trouver le bon cadeau de Noël pour chacun…. Rassurez-vous. Quoi que vous lui offriez, votre frère appréciera votre présent.

- Comment…　?

Elle tapota la main de Sam en souriant.

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Dean avait la bouteille de rhum à la main. Secouant la tête, il se demandait encore comment il avait fait pour se retrouver dans une situation pareille. Et puis d’abord, qui était cette vieille pie　? Cette harpie　? Cette directrice　? Oh, il ne savait même plus quoi penser　!!!

Le regard insistant d’un enfant le fit revenir sur terre. A secouer la tête comme il le faisait et à parler tout seul, il allait passer pour un demeuré. Il ne manquait plus que ça　!

Il essaya de se détourner, il avança dans un autre rayon. Mais il sentait toujours le regard de l’enfant fixé sur lui. Il fronça les sourcils, il fit une grimace. Sans provoquer la moindre réaction, rien qu’une attention soutenue…et insoutenable　!

Il se dirigea vers la caisse et, parallèlement, se rendit compte que ses poches étaient vides. Son portefeuille　! Ses papiers　! Il chercha dans les rayons, il regarda par terre. Sans rien trouver. Sous le regard fixe de l’enfant.

Agacé, il planqua la bouteille sous son blouson et profita de la venue tardive d’un autre client pour s’éclipser.

- Papa, le monsieur il est parti avec une bouteille de rhum, entendit-il avant de se mettre à courir.

- C’est pas beau de rapporter, marmonna-t-il.

Brusquement, il se sentit happé en arrière et un grand froid s’insinua en lui. Il vit passer un grand type qui courut quelques mètres encore, avant de rebrousser chemin en vouant les voleurs aux gémonies.

- Merci, dit sobrement Dean.

Il se retourna et se figea, la bouche en rond, les yeux écarquillés. Jack Frost était devant lui, les prunelles en billes noires rivées sur la bouteille de rhum. Il secoua doucement la boule qui lui servait de tête et se tourna vers la crèche. Un petit morceau de glace vint heurter Dean de plein fouet. Sans qu’aucune parole ne fût échangée, il comprit qu’il devait rejoindre au plus vite la directrice, pour que l’irascible bonhomme de neige ait droit à son lait de poule.

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- Tu en as mis du temps, reprocha Sam.

- J’ai eu un petit…contretemps, répondit son frère avec une grimace.

- Peut-être vous manquait-il ceci　? demanda ingénument la directrice en extirpant le portefeuille d’une de ses grandes poches.

Dean lui lança un regard noir.

- Ca vous apprendra à vous être montré égoïste en buvant tout le lait de poule, enfonça-t-elle le clou.

- A ce propos, j’ai croisé Jack Frost… Je crois qu’il attend…

- Oui oui, il va avoir son dû, répondit-elle en riant. N’est-il pas merveilleux　?

- Qui　?

- Mais Jack bien sûr　!

Dean la regarda comme si elle avait dit une énormité. A bien y réfléchir, après tout ce qu’ils avaient déjà entendu…

- Dîtes-moi les amis, que faites-vous ce soir　?

- Ce soir　? répéta Sam avec hésitation. Pas grand-chose…

- On va bien s’amuser, rétorqua Dean avec une moue légèrement boudeuse qui fit pétiller le regard de la directrice.

- Je vois… Devant un film pourri dans la chambre impersonnelle d’un motel minable.

- Il n’est pas si minable, protesta Sam d’un ton triste.

Interpelé par la voix de son frère, Dean jeta un coup d’œil étonné à son cadet. Il essayait de sourire, mais on voyait bien que le cœur n’y était pas. L’aîné soupira. Evidemment, cela faisait des années que Sam n’avait pas eu droit à un vrai Noël, du moins avec lui. D’ailleurs, les Winchester avaient-ils jamais eu de vrais Noël　? Depuis la mort de leur mère…

- Très bien　! Alors vous restez avec moi　! décida la directrice.

- Quoi　?! s’exclamèrent ensemble Dean et Sam.

- Oui, les lutins vont bientôt arriver. Jack est déjà là. Quelques invités surprises vont se manifester, comme tous les ans et…c’est la veille de Noël. Il est hors de question que vous passiez cette fête merveilleuse tous les deux, tous seuls.

Dean lança un regard à son cadet, qui avait les yeux rivés sur lui. Que d’espoir dans ce regard　! Le chasseur sourit. Soit　! Pour une fois, ils auraient un vrai Noël. Son cœur se gonfla de tendresse en voyant le visage de son petit frère s’illuminer.

Les prunelles de la directrice s’attendrirent. En un clin d’œil, elle transforma la crèche en un véritable décor de conte de Noël. Ce soir, les Winchester auraient droit à une bulle de bonheur et de bonne humeur. C’était cela également, la magie de Noël　!

 

Fin

Lionne