Lydean

The Wishmaster

24 décembre 2006

 Assis sur le capot de l’Impala, les frères Winchester fêtaient le réveillon de Noël à leur manière. Ils avaient stationné la Chevrolet dans un parc enneigé. Un désodorisant en forme de sapin trônait fièrement sur le rétroviseur intérieur, seul signe distinctif de cette période festive. Ils avaient acheté des plats à emporter et les avaient avalés tout en sirotant des bières et en scrutant silencieusement le ciel. Celui-ci était dégagé depuis peu et ils pouvaient admirer les constellations comme ils avaient l’habitude de le faire.
Ils venaient de terminer une chasse difficile. Un croque-mitaine avait pris d’assaut une crèche. Les petits étaient en pleurs et les adultes présents étaient dépassés par les événements. Mais les deux chasseurs avaient pu compter sur l’aide précieuse d’enfants un peu plus âgés, pour servir d’appât. Si la mission avait été un franc succès, il ne leur restait pas moins un lourd sentiment de culpabilité. Se servir de si jeunes innocents pour mener à bien cette chasse, même s’ils n’avaient pas eu le choix, les rendait malades. Et comme souvent, ils se remémoraient leur propre enfance.

- J’aurais préféré ne jamais rien savoir, murmura Sam, tout à ses pensées.

- J’aurais également voulu que tu gardes ton innocence, Sammy, lui répondit Dean avec un sourire contrit.

Chacun d’eux avait formulé ce souhait invraisemblable avec une extrême conviction. Mais à aucun moment ils ne pensèrent que l’étoile filante qui venait de traverser le ciel puisse réaliser leur vœu. Une rafale glaciale les saisit soudain et Sam ne put réprimer un frisson.

- Et si on rentrait voir le match ? Proposa Dean.

 Son cadet approuva et ils reprirent le chemin du motel.

***

Lorsque Dean ouvrit les yeux ce matin là, il eut du mal à se repérer. Il se redressa et reconnut le canapé du petit appartement de son frère dans lequel il avait l’habitude de dormir lors de ses visites. Il se leva difficilement, courbaturé. Sa dernière chasse avait été éprouvante physiquement et il avait dû attendre que ses blessures guérissent avant de pouvoir venir à Stanford. Il aurait aimé que les contusions disparaissent totalement mais aujourd’hui c’était Noël et Sam lui aurait reproché son absence.
En se levant, il se passa une main sur le visage pour mieux se réveiller. L’année 2005 se terminait sur un bilan catastrophique. Les chasses s’accumulaient et le danger devenait alarmant. Mais à ses yeux, le plus grave avait été la mort de Jessica, la fiancée de son frère, environ deux mois auparavant. Si Sam essayait de se convaincre que l’incendie était accidentel, les autres Winchester savaient que le coupable était le démon qui avait tué Mary, exactement vingt-deux ans plus tôt. Lors de ces deux drames, Dean avait sauvé son frère des flammes et il avait du mal à se remettre de l’angoisse qu’il avait ressentie à l’idée de le perdre. Il avait pourtant tout fait pour le protéger, le préserver de cette vie pourrie dans laquelle lui-même était obligé de se débattre.
Lorsqu’il s’était aperçu que son jeune frère de huit ans avait trouvé le journal où leur père relatait avec précision ses chasses, il s’était mis dans une colère noire. Il avait fait jurer à Sammy de ne plus jamais fouiller dans leurs affaires puis s’était occupé de convaincre leur père de le placer en internat afin de le préserver de la dure réalité qui les entourait. John avait longtemps refusé jusqu’au jour où il était rentré d’une chasse, abattu comme jamais auparavant. Il ne lui avait rien dévoilé. Toutefois, l’aîné eut gain de cause et Sam put poursuivre une scolarité irréprochable. Il était heureux pour son jeune frère mais ces longues périodes de cours étaient interminables tant il lui manquait. De son côté, il avait suivi leur père dans ses chasses, en s’assurant que son cadet n’apprenne jamais rien. Pendant les vacances, il profitait de chaque instant avec Sam et redoutait les jours de rentrée. L’éloignement avait fait qu’ils n’étaient plus aussi proches qu’avant. Malgré tout, ils mettaient tous deux un point d’honneur à préserver ce lien si fort qu’ils partageaient.
 La relation entre John et son plus jeune fils s’était lentement détériorée. Aujourd’hui, ils ne se parlaient presque plus. Pourtant, Dean entendait toujours des « Surveille Sam ! » Quelque chose avait changé car avant, les recommandations paternelles ressemblaient plutôt à « Protège Sammy ! » Son père connaissait une information sur Sam que lui ignorait et ça l’horripilait.
 Il sortit de ses pensées lorsqu’il entendit son cadet quitter sa chambre. Il l’observa discrètement, remarquant les cernes marqués sous ses yeux, conséquence de son manque de sommeil. Il avait compris que son frère était toujours hanté par de douloureux cauchemars.

- Hey, Perry Mason ! Bien dormi ? Lui lança-t-il tout sourire.

- Mmm, grogna l’intéressé en se dirigeant vers la cafetière. Merde ! Reste que ça ?!

- Ouais. Tu en as bu plusieurs litres en un temps record. Mais si tu veux, y a du lait de poule.

 Sam huma le contenu du gobelet que lui tendit son frère.

- Pouah, tu l’as corsé ?! S’exclama-t-il en grimaçant, dégoûté par la forte odeur d’alcool qui s’en dégageait.

- Il a bien fallu ! J’avais l’impression que c’était la mère Noël qui l’avait préparé pour le p’tit Jésus.

- Ouais, ben moi j’ai besoin de café ! Décréta-t-il tout en allant se préparer pour sortir chercher son précieux breuvage.

***

 En cette journée de Noël, aucun établissement du campus n’était ouvert. Frustré, Sam frappa aux portes de ses amis, qu’il avait maintes fois aidés, pour quémander un peu de café. N’essuyant que des refus, il regarda son aîné avec ses yeux de chien battu.

- Tu sais quoi Sammy, sur ton CV tu devrais ajouter proctologue, lui indiqua Dean.

- Quoi ?

- Ben ouais , ici t’es entouré de trous du cul !!!!

- Très drôle, maugréa-t-il sans pouvoir s’empêcher d’esquisser un sourire. Tu t’attendais à quoi ? On n’est pas dans Friends … ni dans Sex And The City, ajouta-t-il pour tenter de détacher le regard lubrique de son frère des jolies étudiantes qui les croisèrent en gloussant.

- Pfff ! Rabat-joie ! … Allez viens, Ally Mc Beal ! On va te trouver ta dose de caféine.

 Habitué aux surnoms peu conventionnels que son aîné lui affublait sans cesse, il ne releva pas. Ce qui ne l’empêcha pas d’afficher sa contrariété avec une moue toute personnelle. Dean s’en réjouit avant de l’entraîner dans l’Impala, à la recherche d’une boutique ouverte.

 Ils durent sortir du campus et faire plusieurs kilomètres pour trouver une station service ouverte. A peine étaient-ils entrés dans le magasin qu’ils se figèrent sur place. Le caissier se faisait braquer. La seule chose que vit Dean fut l’arme pointée sur le pauvre gérant. Il glissa sa main sous sa veste au niveau de son dos, à la recherche de son colt. Mais alors qu’il allait intervenir tout en se plaçant instinctivement devant son frère, celui-ci attrapa son bras et le stoppa avec de grands yeux ronds. Interloqué, il croisa son regard qui lui indiquait clairement qu’il ne voulait pas de ça et qu’il avait une autre idée en tête.

- Vous ! Venez ici que je vous vois, hurla le voleur à leur intention.

 Ils obéirent prudemment. Dean cacha son arme tout en restant sur ses gardes. Puis, Sam prit la parole :

- On voulait juste du café.

- J’suis pas un criminel, d’accord ?! Se justifia l’homme en tremblant. Moi j’veux juste que mes enfants soient heureux pour Noël.

 Ce n’est qu’à ce moment précis que l’aîné s’aperçut de ce qui était posé sur le comptoir : de la nourriture et des jouets !

- Vous avez raison, poursuivit Sam. Aujourd’hui c’est Noël et tout le monde devrait être heureux. Alors je vous propose un marché : je paie tous vos achats et en échange, vous me donnez votre arme. Parce que c’est évident que vous n’êtes pas un criminel …

 D’abord réticent, le braqueur écouta les nouveaux arguments de Sam qui sortit sa carte de crédit afin de lui prouver qu’il respectait ses engagements. Une fois l’encaissement terminé, le voleur entassa ses courses dans des sacs et partit sans les quitter des yeux. Arrivé à la porte, il s’excusa et s’enfuit en courant. Très fier de son petit frère, Dean lui fit remarquer sur le ton de la plaisanterie :

- Impressionnant plaidoyer, maître.

 Sam prit ses paquets de café, paya le caissier et se dirigea vers l’Impala dans un silence religieux. Son aîné le suivit non sans avoir lancé un « Joyeux Noël ! » à l’homme au visage livide qui ne réagissait toujours pas.
 Le trajet du retour se fit au son des guitares électriques de Deep Purple. Mais arrivés à l’appartement, Dean ne put se retenir plus longtemps.

- Quoi ? Demanda-t-il simplement en refermant la porte d’entrée derrière lui.

- Rien, répondit le plus jeune en allant préparer la cafetière.

- Sam.

 Le silence s’installa à nouveau mais le cadet, qui sentait les yeux inquisiteurs de son frère braqués sur lui, explosa :

- D’accord. Tu veux savoir ? J’en ai marre. Tu as une arme, Dean ! Et je ne parle même pas du couteau que tu planques sous ton oreiller … C’est pas la peine de me regarder comme ça. J’ai plus huit ans et ici c’est chez moi alors je peux farfouiller autant qu’je veux ... Et cette fois tu ne pourras pas te débarrasser de moi aussi facilement. J’veux qu’tu m’dises ce que tu fais comme foutu job. 

 L’absence de réponse le frustra au plus haut point. Il sentit ses mâchoires et ses poings se serrer. Pourquoi son frère n’avait-il pas suffisamment confiance en lui pour lui dévoiler la vérité ? La colère le submergea et il s’emporta :

- Tu m’emmerdes, Dean ! Tu ne veux rien me dire ? Très bien ! Mais tu ne peux pas m’obliger à te regarder te foutre en l’air.

- Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

- Regarde-toi, mec ! T’es une vraie loque. Quand t’as pas le look d’un boxeur amateur, c’est celui du poivrot du coin. Depuis qu’t’es tout petit, ta seule ambition c’est de suivre les traces de Papa et autant dire que ça ne t’a pas réussi.

- Laisse Papa en dehors de ça !

- Pourquoi ? Tout ça, c’est de sa faute ! Il t’a entraîné dans cette vie de merde et …

- Sam !

 Ils se toisèrent un moment du regard avant que l’aîné décide de rassembler ses affaires.

- Qu’est-ce que tu fais ? S’inquiéta le plus jeune.

- D’après toi ?! … Ne t’inquiète pas Sam, tu n’auras plus à supporter la loque chez toi !

- Non, attends ! C’est pas …

 Sa phrase fut interrompue par le claquement de la porte d’entrée. Quelques secondes plus tard, il entendait le ronronnement de l’Impala s’éloigner. Il se laissa tomber sur le canapé, totalement anéanti. Ce n’était pas ce qu’il voulait. Il aurait aimé faire comprendre à son grand frère qu’il s’inquiétait vraiment pour lui et qu’il refusait de le perdre sous prétexte qu’il se bornait à suivre la sinistre route que lui imposait leur père. Mais ce qu’il avait dit avait eu l’effet inverse et il s’en voulait terriblement. Il décida d’attendre un peu le temps que Dean se calme puis il l’appellerait pour s’excuser.

 Quand il entendit frapper quelques minutes plus tard, il retrouva l’espoir et se précipita pour ouvrir. Il recula d’un pas et changea d’expression lorsqu’il vit celui qui se tenait sur le perron.

- Papa ?

***

- Sam, il y a certaines choses que tu dois savoir, lui avait dit son père en pénétrant chez lui.

 Et il lui avait tout dévoilé, froidement ! Depuis l’assassinat de Mary à celui de Jess en passant par ses différentes chasses. Sam encaissa sans un mot, perdu entre ce qu’il entendait et ce qu’il pouvait croire. Il n’entendit pas la porte d’entrée s’ouvrir lentement, dévoilant son frère, armé, sur la défensive.

- Papa ? S’étonna l’aîné, à son tour.

 Le sourire sadique que lui adressa John précéda le changement de teinte de ses iris qui passèrent du cyan à l’ocre. Dean comprit alors que les signes qu’il venait de repérer ne s’étaient pas trompés : le démon était là. Alors, bien qu’il ait pris possession du corps de leur père, il braqua un colt singulier sur sa tête.

- Dean ! Nargua l’homme aux yeux ambrés, devant le regard ahuri de Sam. C’est justement toi que je voulais voir.

D’un simple signe de la main, il le désarma et l’envoya s’écraser contre un mur.

- J’attendais ce moment avec impatience ! J’ai tout fait pour que ton frère devienne l’un des nôtres. J’ai même tué votre mère et sa petite amie mais non, toi, tu te fous toujours en travers de mon chemin. Aujourd’hui c’est terminé …

Pétrifié, Sam assistait à la scène sans réagir. Il refusait de croire ce qu’il voyait et encore plus ce qu’il entendait. Comprenant soudain que Dean était en danger, il se focalisa sur lui et constata, horrifié, que des flots de sang s’échappaient de son corps et se répandaient en une flaque épaisse sur le sol. L’adrénaline envahit son organisme et dans un geste désespéré, il se rua sur son père pour lui asséner une série de coups plus violents les uns que les autres. Devenu enragé, il développa une force surhumaine et ne cessa que pour reprendre son souffle.

- Félicitations, Sam ! Grogna la masse informe et ensanglantée. T’as tué ton propre père. Bienvenue parmi nous !

 Une fumée noire sortit soudainement par la bouche de celui qui avait été son père, laissant son corps sans vie sur le sol. Au même moment, Dean s’effondra, inerte. Le cadet se précipita sur lui et assista, démuni et épouvanté, au dernier souffle de son frère.

***

Ils se réveillèrent en sursaut, en même temps, haletants, transpirants, avant de se dévisager.

- Toi aussi ? Demanda Sam pour savoir si son frère avait vécu le même cauchemar.

- Ouais. Putain c’est quoi ce bordel ? Si c’est la nouvelle version de l’Etrange Noël de Monsieur Jack, elle craint !

- Euh … Dean ?

- Quoi ?

- Je retire ce que j’ai dit hier soir.

 L’aîné observa son frère et ne prit pas la peine de lui répondre. Avec ce qu’ils venaient de vivre, il admettait bien volontiers que les choses n’étaient pas si mal comme elles étaient. Le fait que Sam ait perdu son innocence avait fait de lui un chasseur émérite et un partenaire de confiance et il ne voulait rien changer à ça.

 A l’extérieur de la chambre, un petit bonhomme de neige inoffensif prit des allures de Jack Frost. Il s’anima imperceptiblement et chuchota avec un sourire empreint de malice :

- J’espère que vous aurez aimé mon cadeau. L’embrouilleur vous souhaite un joyeux Noël !

*** Fin ***

 

Lydean